Côte d’Ivoire. Malgré tout, il faut savoir raison garder

Publié le par Un monde formidable

Le piège de la négociation par San Evariste (L’Observateur. Ouagadougou. 22/12/10)

Les pressions internationales se sont faites de plus en plus fortes. Les sanctions ont commencé à tomber, les manifestations se sont faites violentes, notamment celle du jeudi 16 décembre 2010. Et à ce jour, on dénombrerait au moins 50 morts, 200 blessés et près de 500 arrestations et détentions arbitraires.

C’est dans ce décor, quasi apocalyptique, que Laurent Gbagbo est réapparu à sa télé pour s’adresser aux Ivoiriens avec un ton volontiers martial. Il a rappelé, sans rire, qu’il était le président démocratiquement élu avec 51,45% des voix ; que son challenger, Alassane Dramane Ouattara (ADO), est un mauvais perdant qui ne veut pas obéir aux lois de son pays. Il lui a imputé au passage la responsabilité des violences. Puis, le mari de Simone a avancé ce qu’il estime être une proposition de sortie de crise. En effet, dans cette allocution radiotélévisée, il a fait une offre de dialogue à ses adversaires : « Je tends la main à l’opposition, à Monsieur Ouattara, comme à la rébellion armée qui le soutient. Je ne veux plus de guerre. Je ne veux pas que le sang d’un seul Ivoirien soit versé ». Il a dans la foulée proposé la création d’un Comité d’évaluation de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. « Ce Comité, dirigé par un représentant de l’Union Africaine, et comprenant des représentants de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest- africaine), de la Ligue Arabe, des Nations unies, des Etats-Unis, de l’Union Européenne, de la Russie et de la Chine, aura pour mission d’analyser objectivement les faits et le processus électoral, pour un règlement pacifique de la crise. Ce Comité devra également comprendre des Ivoiriens de bonne volonté ».

On ne peut que lui savoir gré de vouloir discuter pour sortir du bourbier postélectoral dans lequel la lagune Ebrié est engluée depuis le 28 novembre 2010. Car, sauf à vouloir prôner d’autres solutions (le coup d’Etat ou l’élimination physique comme semblent le suggérer certains), il faut bien négocier pour se dépêtrer de cet imbroglio politico-juridique. Malgré donc toutes les réserves qu’on peut avoir sur ces propositions « gbagbistes », il ne serait pas sain de les rejeter du revers de la main. Cependant, en réaffirmant la légalité de son pouvoir (quand ses contradicteurs brocardent son illégitimité) tout en faisant des propositions de sortie de crise, l’enfant terrible de Mama semble dire que tout est négociable sauf son fauteuil.

Or, c’est précisément là que le bât blesse. Il s’en faut d’ailleurs qu’il ne veuille enfermer ses contempteurs dans le piège de la négociation, car un animal politique comme lui est bien payé pour savoir que la meilleure façon de tuer une affaire, c’est de créer une commission ad hoc pour en connaître et de laisser faire le temps. Que se passera-t-il en effet si ADO et la communauté internationale acceptent le deal qui leur est proposé ? Ils seront bien obligés de mettre un bémol à leurs revendications, de ranger leurs ambitions au placard pour des pourparlers à l’issue pour le moins incertaine.

D’abord si le principe d’une telle commission ad hoc est accepté, il faudra ensuite s’entendre sur les personnes qui composeront ce comité de sages couleur café-cacao. Plusieurs semaines voire des mois seront alors passés avant que les différents camps ne se mettent d’accord sur l’identité des oiseaux rares qui seront installés pour commencer à travailler en attendant les premiers blocages, qui ne manqueront pas de survenir pour un ET ou pour un OU. A ce pas de tortue, ça fera forcément l’affaire de celui qui tient les rênes du pouvoir. Et comme parfois c’est le fait qui génère le droit (encore que, dans son cas, les apparences juridiques soient sauves), Laurent Gbagbo aura tôt fait de souffler sa première bougie à la présidence de la République.

Si on ajoute à cela le fait que le Boulanger de Cocody s’est taillé une solide réputation de « faux-type » qui tient rarement ses engagements, attendant toujours la moindre occasion pour rouler ses adversaires dans la farine, on comprend qu’il faille prendre ses bonnes résolutions avec beaucoup de circonspection. La République du Golf Hôtel l’a si bien compris qui a opposé une fin de non-recevoir à cette offre, perçue comme une manœuvre dilatoire et de diversion, une fuite en avant, juste pour gagner du temps. Mais ce faisant, ils s’enferment eux aussi dans la logique du « non-être » politique, puisqu’ils n’ont pas l’appareil d’Etat pour jouir de leur pouvoir légal.

Cette allocution de Laurent Gbagbo parviendra-t-elle à attendrir la communauté internationale ? On aura sans doute un début de réponse à cette question ce vendredi 24 décembre avec le deuxième sommet ad hoc que la CEDEAO tient sur la situation en Côte d’Ivoire en l’espace de deux semaines.

 

Malgré tout, il faut savoir raison garder par Alain Saint Robespierre (L’Observateur. Ouagadougou. 23/12/10)

A observer cette avalanche de pressions qui déboule de toutes parts sur le président Gbagbo, on a l’impression que la Communauté internationale est décidée à faire feu de tout bois autour de « l’enfant terrible de Mama » : ainsi, des sanctions ciblées, elle glisse peu à peu vers des sanctions groupées pour ne pas dire familiales ; en effet, en plus de la décision de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de suspendre la Côte d’Ivoire de toutes ses instances, en attendant les résolutions de sa rencontre d’urgence aujourd’hui vendredi 24 décembre à Abuja ; en plus de la mesure de restriction de visa et de gel des avoirs de personnalités militaires et civiles proches de la présidence prise par l’Union européenne ; en plus des appels implicites et explicites à la force militaire pour mettre le « Boulanger » hors d’état de rouler ses adversaires dans la farine, en plus, en plus, en plus, les punitions tournent étonnamment à l’aberration.

Et comble d’étonnement, celles-ci sont envisagées par le nec plus-ultra des démocraties : les Etats-Unis d’Amérique. Ainsi, après l’injonction de « quitter le pouvoir dans un temps illimité de Barack Obama à Laurent Gbagbo, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, vient de donner quitus à des sanctions « immédiates empêchant Laurent Gbagbo et une trentaine de personnes de son entourage de se rendre aux Etats-Unis ».

Et dans la ligne de mire des Yankee pourraient figurer « les enfants et parents proches du président ivoirien sortant », a précisé le vice-président chargé des Affaires africaines, William Fitzgerald ; ce qui veut dire que les filles de la première Dame ivoirienne, Simone Gbagbo, qui étudieraient actuellement à Atlanta, pourraient en être expulsées dans les jours à venir. Au nom de quel principe de droit, les enfants doivent-ils payer pour la faute de leurs parents ? Même dans les pires dictatures de l’histoire contemporaine, on n’a pas souvenance d’une telle iniquité digne de l’âge de la pierre taillée. Certes, dans l’adversité, on peut succomber à la tentation du « tous les coups sont permis », mais tout de même.

C’est vrai qu’en s’en prenant à la progéniture du couple présidentiel, on touche à son point sensible, à sa partie névralgique. Mais attention à l’autre tranchant du couteau : frappé illégalement et injustement là où il ne faut pas, la tête à claques de la Communauté internationale pourrait, elle aussi, faire usage de mesures de rétorsion non conventionnelles. Quand bien même sachant que seul contre tous, le rapport de forces est évidemment en sa défaveur.

Publié dans Afrique de l'Ouest

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