Côte d'Ivoire. "Les viols sont encouragés"

Publié le par unmondeformidable

Côte d'Ivoire. "Les viols sont encouragés" (Source IRIN - 22 octobre 2008)

Le viol des femmes et des filles est une pratique courante dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et les violeurs ne sont généralement pas sanctionnés, selon les habitants de la région. 

« Ces derniers temps, presque à chaque fois qu’on entend parler de vols à main armée commis dans les maisons, sur la route ou dans les plantations, on entend parler de viols », a dit, sous couvert de l’anonymat, une habitante de Duékoué, une ville de l’ouest du pays, située à quelque 500 kilomètres d’Abidjan, la capitale économique. « On entend parler de deux, trois, quatre viols par jour ». 



Avec la prolifération des armes depuis le début du conflit, en 2002, de nombreuses régions de Côte d’Ivoire restent en proie à une criminalité d’une violence sans précédent, malgré la signature d’un accord de paix, en mars 2007, qui a mis officiellement fin aux affrontements.

Dans certaines régions du nord, les attaques menées par des individus armés de kalachnikovs, rarissimes avant le conflit, sont désormais fréquentes, selon les habitants. 



« On nous signale sans aucun doute davantage de cas de viols depuis environ un an et demi », a dit à IRIN Monika Bakayoko-Topolska, coordinatrice auprès de l’International Rescue Committee (IRC) dans le domaine de la violence sexospécifique en Côte d’Ivoire. 
Selon Mme Bakayoko-Topolska, le viol est « un des plus gros problèmes dans l’ouest », et la violence sexuelle est problématique dans l’ensemble du pays. On ignore néanmoins, selon elle, si les cas de viol se sont multipliés dans l’ouest ou si davantage de personnes déclarent ce crime depuis le déploiement des campagnes éducatives dans la région. 

Quoi qu’il en soit, Mme Bakayoko-Topolska et certains habitants de l’ouest de la Côte d’Ivoire ont dit à IRIN que des poursuites étaient rarement engagées à l’encontre des violeurs. 



 

Les viols sont encouragés », a dit l’habitante de Duékoué. « Parce qu’il n’y a aucune sanction ». 

Dans certains cas, d’après les habitants de Duékoué et de la ville voisine de Man, les autorités harcèlent ou ignorent les femmes qui déclarent avoir été victimes de viol, et si elles donnent suite à leurs déclarations, les agresseurs présumés sont généralement libérés après une courte période de détention. 



Selon Mme Bakayoko-Topolska, les pressions exercées à la fois par la famille de la victime et par celle du violeur en faveur d’un arrangement à l’amiable, en dehors du système judiciaire officiel, sont un des nombreux facteurs qui découragent généralement les femmes de porter plainte auprès des autorités judiciaires. 

« Il est encore très rare de voir un individu incarcéré pour viol, ici », a-t-elle noté. « Parce que le viol et la violence physique sont interdits par la loi nationale, les leaders des communautés devraient accepter que ces crimes soient déclarés à la police, au lieu d’être gérés de manière informelle dans les villages ». 



 

L’habitante de Duékoué a expliqué à IRIN que de nombreuses femmes craignaient de poursuivre leurs agresseurs car elles ne se sentaient pas soutenues par les autorités chargées de l’application des lois. « On n’est pas en sécurité, ici, [à Duékoué] », a-t-elle dit. « Les gens sont constamment victimes de crimes violents et les agresseurs agissent en toute impunité ». 



 

Dans son dernier rapport sur la Côte d’Ivoire, daté du 13 octobre, Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations Unies, a exprimé des préoccupations sur l’inaction des autorités face aux criminels. « Le faible nombre de poursuites judiciaires [engagées en cas de crimes violents] a ajouté au sentiment d’impunité qui envahit le pays ». 



Les habitants de Duékoué et Man ont expliqué à IRIN qu’en réaction à ce phénomène, des groupes d’autodéfense de quartier avaient notamment été formés. Mais selon un habitant, un viol a été perpétré récemment par un jeune, membre d’un groupe d’autodéfense.

 

De nombreuses villes de l’ouest touchées par une criminalité violente se situent dans l’ancienne zone tampon entre les forces de sécurité gouvernementales, au sud, et les rebelles, au nord ; les forces internationales ont quitté la zone au cours de cette dernière année, à la suite de l’accord de paix de 2007. 



« L’insécurité dans les régions ouest et nord du pays, ainsi que dans certaines régions de l’ancienne zone [tampon] de confiance, reste l’objet de graves préoccupations et a eu des répercussions négatives sur le plein exercice des droits humains », a écrit Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, dans son rapport du 13 octobre, ajoutant : « Les attaques, de plus en plus nombreuses, menées au hasard par des bandits de grand chemin non identifiés, couplées aux violences et au viol des femmes, constituent une menace quotidienne au droit à la vie, à l’intégrité physique et à la sûreté et la sécurité des personnes et des biens ». 



Selon le rapport, la situation est particulièrement grave le long de la route de 35 kilomètres qui mène de Duékoué à Bangolo, dans l’ouest. 



 

Selon l’habitante de Duékoué, les tribunaux les plus proches, vers lesquels les femmes peuvent se tourner en cas de viol, se trouvent à Daloa, à une centaine de kilomètres de là, et cela suffit à dissuader de nombreuses familles. 



Les travailleurs sociaux de la région, a-t-elle indiqué, ont fait savoir aux Nations Unies et aux organisations non-gouvernementales internationales que la ville avait besoin d’un tribunal local. 

L’IRC a recommandé au gouvernement ivoirien de créer des unités de soutien familial au sein des forces de police nationales, comme en Sierra Leone, un pays qui sort d’une guerre civile de 11 ans. Ces unités sont composées d’officiers de police et de travailleurs sociaux formés à traiter les cas de violences sexuelles. 



« Ce dont la Côte d’Ivoire a le plus besoin, c’est d’un changement d’attitudes et de pratiques par rapport à tous les types de violence envers les femmes et les filles », a estimé Mme Bakayoko-Topolska. « Les hommes comme les femmes peuvent commencer par condamner la violence et par se montrer solidaires des victimes en exigeant que justice soit rendue ». 



À en croire l’habitante de Duékoué, le renforcement des moyens juridiques nécessaires pour poursuivre les agresseurs risque de dissuader certaines personnes, mais les viols vont se poursuivre. « Je pense qu’un grand nombre de gens d’ici ne voient pas le viol comme un crime ; ils voient ça simplement comme un truc sexuel ». 


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