Côte d'Ivoire. La chute de Gbagbo : droit d'ingérence ou devoir de conscience ?

Publié le par Un monde formidable

La chute de Gbagbo : droit d'ingérence ou devoir de conscience ? par Brigitte Adès* (Source : http://actu.orange.fr/12/04/11)

Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, la France se bat sur trois fronts à la fois en Afghanistan, en Libye et en Côte d'Ivoire. Ces interventions suscitent inquiétudes et réactions mitigées dans la presse étrangère et dans l'opinion publique française. Une mise au point s'impose.

 « Ne pas agir, c’est encore agir » Cette phrase de Jean-Paul Sartre pourrait tout à fait s’appliquer aux dilemmes qui ont suivi les récentes interventions françaises face aux mouvements de libération. Devant l’ampleur des crises tant en Libye qu’en Côte d’Ivoire, il est attristant de voir que les media et une partie de l’opinion française se cantonnent à une querelle de politique intérieure franco-francaise. Voir dans la décision du Président Sarkozy, une simple manœuvre électorale, ne rend justice ni aux pays opprimés ni aux principes fondamentaux de liberté qui ont fait la grandeur de la France. « Ce n’est pas du cynisme électoral au contraire, affirme Bruno Tertrais, expert en défense stratégique,  puisque la question de la Côte d’Ivoire ne préoccupe que de très loin les Français et ce n’est pas sur ce terrain que la bataille électorale va se jouer. »

L’intervention a toujours joué un rôle clef dans la politique étrangère française: Dans le cadre de la décolonisation africaine, le général De Gaulle a ratifié des traités  avec les pays nouvellement émancipés, permettant à la France d’intervenir dans leurs affaires intérieures, à la seule condition d’une demande expresse préalable. Ainsi, entre 1960 et 1964, les nombreuses interventions de la France au Cameroun, Congo-Brazzaville, Gabon, Tchad, Niger et Mauritanie ont été justifiées par la protection des nouveaux régimes après leur indépendance. Cinquante ans après, on observe l’effet inverse : la nécessité de protéger les aspirations des peuples contre des régimes qui ont perdu toute légitimité. Ce n’est plus le principe de souveraineté mais celui d’autodétermination des peuples qui est ici privilégié et qui justifie, ici, les deux interventions.

 La France a agi dans le concert des nations:  Selon  le droit international, l’intervention se justifie lorsque la protection de civils est en cause. Or c’est au nom de  cette protection et en s’appuyant sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies que la France a fait passer dès le 17 Mars, avec la Grande Bretagne et le Liban, la résolution 1973 pour intervenir en Libye et la résolution 1975, soutenue par la  France et le Nigéria, en Côte d’Ivoire.

Cerner le vrai problème : la protection des civils:  Les experts sont formels : sans l’intervention alliée en Libye, un massacre à Benghazi aurait sans doute eu lieu. Il fallait donc intervenir rapidement et le Président français a eu raison de ne pas hésiter, même si cela l’a rendu impopulaire comme le confirme Nick Witney du Conseil Européen des Affaires Etrangères. Dans le cas contraire, l’opinion publique ne nous aurait pas épargné ses critiques acerbes. De même en Côte d’Ivoire, si le gouvernement  français n’avait pas réagi, il aurait été accusé d’un nouveau Rwanda. Pourtant, malgré la présence de 12000 ressortissants français en Côte d’Ivoire, l’attitude du Gouvernement a tout d’abord été prudente. Et il n’a été question d’intervenir que lorsque les événements dans le pays se sont empirés : Là encore, il n’était plus possible de rester les bras croisés.

De l’opportunité de l’action française:  « La dialectique des relations entre les forts et les faibles est une composante fondamentale du principe d’intervention notait, il y a déjà vingt ans, Stanley Hoffman, alors qu’il dirigeait la Kennedy School of Government de Harvard ».  Il faut une supériorité évidente pour laisser espérer une issue positive à toute intervention.  La France entre dans ce cas de figure à la vue de sa bonne position dans le classement des puissances militaire mondiales. L’opportunité de l’action française s’explique d’autant plus qu’elle espère, avec ses alliés occidentaux, une issue assez rapide du conflit. Et la chute du Président Gbagbo, tombé, lundi 11 Avril, aux mains des forces françaises après une lourde opération militaire est un bon présage.  Sur le front libyen aussi, de nouveaux espoirs se confirment: ce week-end, les frappes aériennes de l’Otan sur Ajdbiya ont permis aux forces rebelles de reprendre pratiquement toutes les positions dans la ville, une percée significative contre la force militaire de Kadhafi.   Dans les deux cas, l’objectif de la France et des alliés doit être clair et ciblé.

Les limites de nos capacités d’intervention s’arrêtent aux limites de notre puissance militaire.  Tout comme il a été impossible de laisser se produire les massacres en Libye et maintenant en Côte d’Ivoire, il n’est pas non plus tolérable de voir le Gouvernement Syrien ou du Yémen perpétrer des crimes sur leurs civils. Pourtant les Etats occidentaux hésiteront à juste titre, à s’attaquer aux poids lourds du Moyen-Orient même si ceux-ci continuent leurs répressions.  Deux poids deux mesures, c’est ce dont ils seront accusés, si aucune intervention n’est diligentée à l’avenir contre l’Iran ou la Syrie. Une action humanitaire ne vaut-elle pas autant en Côte d’Ivoire qu’en Syrie et si l’on ne peut pas agir partout, est-ce une raison pour n’agir nulle part ?

*Directrice du site www.politiqueinternationale.com

Publié dans Afrique de l'Ouest

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