Côte d'Ivoire. Gbagbo arrêté, qu’importe par qui

Publié le par Un monde formidable

Gbagbo arrêté, qu’importe par qui  par Ousséni Ilboudo (L’Observateur. Ouagadougou. 12/04/11)

C’était devenu un drôle d’assaut final qui n’en finissait pas de perdurer, et ils avaient beau se convaincre que le fruit était mûr, même s’il tardait à tomber (1), les ADOlâtres de tout poil étaient insidieusement gagnés ces derniers jours par le scepticisme, voire le découragement.

Car la force française Licorne et celle onusienne, sous prétexte de protéger les populations civiles, avaient beau détruire, à coups de missiles, l’armement lourd du camp Gbagbo, les troupes républicaines, à peine mieux que les insurgés libyens, ne parvenaient pas à terminer le travail, qui avait pourtant été mâché pour elles. Et tels des phénix, les soldats loyalistes semblaient renaître de leurs cendres quand on les croyait irrémédiablement réduits, pour se retrouver même ce week-end à 1 km de l’hôtel du Golf, où Alassane Dramane Ouattara a établi ses pénates.

Mais pour être un dur à cuir, l’enfant terrible de Mama, terré dans le bunker de sa résidence de Cocody avec le dernier carré de ses proches, n’en était pas moins cuit, pour reprendre notre titre du 6 avril 2011 (2). Car sauf, à force de prières, à espérer qu’une main providentielle viendrait se poser sur lui et ses affidés, on ne voyait pas trop comment il pouvait s’en sortir. Encore fallait-il que la Licorne arrête de tergiverser et s’asseye sur ses faux scrupules, nonobstant les critiques de guerre néo-coloniale, pour terminer la manœuvre.

C’est maintenant fait : hier en fin de matinée en effet, les militaires coalisés sont parvenus, au douzième jour de la bataille d’Abidjan, qui aura tenu toutes ses promesses apocalyptiques, à appréhender le couple Gbagbo pour le mettre en lieu sûr ; sur fond de polémique et de petite susceptibilité nationale à ménager, dans la mesure où le haut fait d’armes a été mis sur le compte des soldats tricolores avant que Guillaume Soro revendique la paternité de l’arrestation au nom des Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Puis une mouture intermédiaire a été trouvée pour satisfaire à peu près tout le monde. Retenons simplement que les bunkérisés de Cocody ont été alpagués. Qu’importe par qui.

Triste épilogue d’un bras de fer qui durait depuis quatre mois et demi entre deux adorables ennemis. La nouvelle crise ivoirienne se noue, rappelons-le, au lendemain du second tour de la présidentielle le 28 novembre 2010. Ce qui était censé mettre un terme à une décennie de turbulences sociopolitiques va très vite se révéler le point de départ d’un accroc autrement meurtrier.

Puisque défait dans les urnes, le président sortant, qui a sans doute présumé de sa force de frappe électorale et parié sur un mauvais report des voix de Bédié sur ADO, va refuser de sortir en perpétrant un coup d’Etat électoral ; servi, il est vrai, par les maladresses de ses adversaires de la Commission électorale indépendante (CEI) et de l’ONUCI. Que penser en effet quand on apprend que dans quelque 500 bureaux de vote de la zone CNO (Centre Nord-Ouest), où il avait pourtant des représentants, il n’a enregistré aucune voix ? Ou quand Youssouf Bagayoko, le président de la CEI ne trouve pas endroit plus neutre que le QG d’un des candidats pour proclamer les résultats provisoires, même s’il a été empêché de le faire au siège de son institution ?  Qu’à cela ne tienne, la victoire du champion des houphouétistes ne fait l’ombre d’aucun doute et le crime d’usurpation était suffisamment grave pour qu’il faille user de tous les moyens pour contraindre l’usurpateur à cracher le morceau le plus viandeux de la république.

Trois mois de chassés-croisés diplomatiques n’auront pas été suffisants pour rapprocher des positions trop tranchées pour être conciliables. Laurent Gbagbo balayant les unes après les autres les différentes propositions qui convergeaient vers le même but : son départ volontaire contre l’assurance de son intégrité physique et de sa sécurité judiciaire. Jusqu’à ce que, de guerre lasse, l’option de la "force légitime" pour déloger le locataire indu qui renâclait à plier bagages soit mise en branle par les forces républicaines, un mélange hétéroclite constitué par des éléments des forces nouvelles, des dozos et d’autres supplétifs plus ou moins organisés et entraînés. 

Avec le soutien non négligeable de la Licorne, de casques bleus et de militaires de la sous-région. Pourquoi s’en cacher ? Exit donc Gbagbo et malheur au vaincu. Lui n’ayant plus tout à fait le pouvoir et l’autre n’ayant pas encore tous les attributs de l’autorité, il fallait en vérité trouver une issue, d’une façon ou d’une autre, à cette situation intenable, ne serait-ce que pour abréger les souffrances des populations, prises entre deux feux, sans eau ni électricité, n’ayant plus de quoi se nourrir et redoutant maintenant l’apparition d’épidémies. Une vraie tragédie humanitaire donc que la nouvelle donne pourrait contribuer à conjurer. On imagine en tout cas le soulagement qui peut être celui de la majorité des Ivoiriens ainsi que des Burkinabè d’ailleurs, tant l’intérêt de ces derniers pour la partie serrée qui se jouait outre-Léraba avait atteint un stade paroxysmique.

Mais si le compte des allumés de Dieu à la posture messianique, puisqu’ils étaient convaincus par leurs pasteurs évangéliques d’avoir été appelés pour diriger le pays d’Houphouët, si donc Laurent et la régente de Cocody ont fini par se rendre, la paix définitive n’est pas pour autant revenue. Car une question demeure : l’arrestation du gourou va-t-elle ipso facto entraîner la fin des hostilités ? Autrement dit, les combattants qui lui sont restés fidèles vont-ils déposer les armes ou continuer de harceler les positions ennemies dans une guérilla qui, même résiduelle, peut donner du fil à retordre ? A moins que cet homme qui a du cran et un courage certain, il faut le lui reconnaître (contrairement à beaucoup d’autres), mais qui n’a plus son sort entre les mains, soit contraint par les vainqueurs à lancer un appel à la reddition à ses troupes.

Autre question, le désormais prisonnier va-t-il, maintenant qu’il est pris, reconnaître la victoire d’ADO et signer un document où il renoncerait sans ambages au pouvoir comme on le lui avait exigé, ce qu’il se refusait à faire jusque-là. Et quel sort va-t-on lui réserver ? L’embastillement à Abidjan (ce serait risqué) ? L’exil (en Angola, en Afrique du Sud ou ailleurs) ? Ou la Cour pénale internationale ? Qu’importe, l’urgence n’est pas là mais quand on voit les images de Laurent en maillot de corps et de Simone, les cheveux en bataille comme au saut du lit, on ne peut qu’être attristé par cette sortie piteuse, la tête basse et la queue entre les jambes, de cet homme d’Etat qui aurait pu partir avec tous les honneurs.

Hélas ! S’il y a une chose dont on peut se réjouir, dans cette affaire, c’est le fait que, malgré son entêtement suicidaire, on a pu le prendre vivant, conformément aux instructions fermes données par ADO.

Publié dans Afrique de l'Ouest

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