Cameroun. Mont Cameroun : Cendres et diamant
Mont Cameroun : Cendres et diamant par Roger Calmé (Sources : Le Monde/Ulysse.14/12/10)
Sorti de la forêt d'altitude, le chemin s'enfonce dans les hautes herbes. Comme un dernier rivage, limite des territoires. A l'abri d'une bâche, quatre jeunes Bakweris cuisent le riz et réchauffent les bâtons de makabo, tubercule mélangé au piment et au poisson. Dernières minutes du jour, le soleil bascule derrière les cratères sombres. Cendres noires, pigments ocre, le vent qui souffle… Un lieu tendu comme un enfantement, une contraction de la terre. Plus de 4000 m au-dessus du golfe de Guinée, le Mont Cameroun ne peut échapper au regard. Depuis Buéa, au petit matin, comme un transatlantique de pierre qui traverse le ciel équatorial. Bastingages de forêt, de savanes, de cendres sombres, et tout là-haut les nuages qui le dérobent, des brumes fantasques, des vents qui viennent rouler sur sa coque. Les marins qui croisaient par ces eaux d'Afrique centrale le pointaient depuis longtemps sur les cartes. Carthaginois ou portugais, ils en signalaient le feu… et l'abondance des eaux, poissons, crevettes géantes –camarès- qui donneront plus tard son nom au pays. Cameroun, fils du Fako, en somme.
Complices de la terre et du feu. Il faut une bonne journée de marche pour rejoindre Mann Springs (2400 m) et une de plus encore, avant d'approcher les pentes hautes. A mesure que l'on progresse, l'énorme charpente du volcan impose sa présence. Pour les populations bakweris, ces parages ont un nom : Ekondé Vasé. Ils disent la propriété du dieu Ifassa Moto (le dieu du volcan, l'une des trois divinités, avec la forêt, Likomba, et la mer, Myango Na Muana, à nourrir la croyance bakweri).
Un matin glacial, le refuge, à plus de 3700 m, giflé par les bourrasques. Âpreté extrême du lieu. En début de saison sèche, les pentes explosent de couleurs. Des lichens de feu, des mousses, une profusion de fougères, sortis des cendres et des blocs de lave… Il est dix heures du matin, et la soufflerie fonctionne à plein régime. Depuis trois jours d'ailleurs, il en est ainsi. Inutile d'espérer une accalmie. Derniers mètres d'ascension, puis une longue descente en traversée permettra de retrouver la lumière. On s'aperçoit alors que le cratère sommital voisine quantité d'autres cônes. L'équipe belgo-française de Gerald Ernst en a dénombré près de 600. Entre ces cratères, d'immenses champs de lave descendent en pente douce, versant sud-ouest, vers l'océan. L'histoire du volcan se lit dans ces coulées. Des cratères, des légendes, et des hommes qui font leurs offrandes avant d'aller chasser ou cueillir les herbes et les écorces. Magie ? En partie, mais surtout une symbiose au lieu.
Ici tout est lié, l'activité des hommes, le respect du volcan, de ses plantes, l'autorité des chefs traditionnels. Bernard Fende Ngeke est l'un d'entre eux. Son village, Likoko Meambea, à l'ouest de Buea Town, compte un gros millier d'habitants. Pour l'essentiel des cultivateurs qui tiennent leurs parcelles à l'orée de la grande forêt. Des carrés d'ignames, de taro, de makabo, de la patate douce, du manioc bien sûr et tous les fruitiers aussi que le volcan peut nourrir, manguiers, ananas, avocatiers… La terre est si riche et les récoltes se succèdent, parfois trois sur l'année. Le chef s'en réjouit, certes, mais il souligne aussi que, " ces cinquante dernières années, la forêt s'est appauvrie. Certaines essences comme le Prunus africana, réputé pour ses vertus anti-cancéreuses (prostate), et plusieurs milliers de spécimens ont quasiment disparu, coupés par des sociétés forestières. Nous exploitions ces pentes depuis toujours, avec respect. Et puis les sociétés sont venues, et elles ont massacré le bois. Personne ne nous a demandé notre avis. Pourtant ce sont nos terrains. " Aucune colère dans ses mots, juste cette conviction que les activités, quelles qu'elles soient, ne peuvent plus se faire sans une référence aux traditions. Les chefs de village sont les garants de ce respect nécessaire. On vient donc les consulter, demander leur autorisation, pour le passage, la chasse, la visite des cratères. Que l'on bafoue ces règles, et le volcan se charge de le rappeler aux hommes. Toutes les coulées, et notamment celle de 2000, ont leur explication locale. On ne vous parlera pas de chambre magmatique, de dykes, de pression des gaz, mais d'un dieu en colère, qui se venge des intrus.
Une (re)mise en valeur qui se dessine Retour aux pentes sud du volcan. Il est huit heures du matin, sur ce balcon de lave. En début de saison sèche, mi-octobre, ces versants sont d'une verdure idyllique. Des brassées de fleurs dansent sous le vent d'est. Quelques heures de clarté, le soleil fait briller les tôles de Buéa, deux mille mètres plus bas. Puis les nuages de l'Atlantique reviendront buter sur le géant.
Une cinquantaine de fois par an, Ferdinand Ikome Wonganya remonte ainsi vers les refuges d'altitude. Cet ancien chasseur d'antilope a suivi, comme cinquante de ses collègues, une formation de guide. Ce jour, il accompagne au travers de la forêt et de la savane, un groupe de randonneurs allemands, japonais et français. Il leur parle des écorces, des plantes qui aident à la fécondité, des boissons contre la morsure du mamba. Et puis de ces arbres splendides, bois d'okoumé, de wengé, de sappelli ou d'iroko qui ont tant excité les convoitises. " La coupe désormais est contrôlée, mais… " Il ne le dit pas, il le laisse tout juste entendre. Pieds nus dans ses sandales de plastique, les mains refermées sur le col de sa veste, Ferdinand a un geste d'impuissance. Le manque de moyens reste ici un handicap chronique. Qu'il s'agisse de la conservation ou de l'accueil. Les refuges, entre autre exemple, demanderaient un sérieux coup de neuf. Les sentiers aussi pourraient être remis en état. Et les guides, comme les porteurs, recevoir des aides à leur équipement. A 3700 m, cette dernière nuit, le thermomètre est tombé sous zéro. A l'intérieur même des huttes, les bakweris ont monté… des tentes, pour se protéger du froid. Et ce vent qui continue de souffler. Ce vacarme de turbine, l'impression d'être dans un jet-stream himalayen. Une flasque de whisky local passe de main en main. On se verse de minuscules rasades dans le bouchon, et on tâche ensuite de trouver le sommeil.
Demain, Ferdinand et les trois porteurs redescendront vers le littoral. Six à sept heures de marche, par la forêt d'altitude tout d'abord, cratères d'émeraude enfouis dans la végétation, avant de rejoindre l'étage pluvial, tellement épais que la lumière y pénètre à peine. Le sentier est un piège permanent, des racines, de la boue, et dans les branches ce cri stridulent, d'un aigu presque insupportable. Le chant des chenilles. La machette permet tout juste de tenir le passage ouvert. Puis le jour revient enfin, et les premiers carrés de manioc, de canne ou de gombo dessinent leurs carrés parfaits, juste piqués d'un palmier ou d'un plant d'ananas. Premières maisons de planches et de tôles, premiers enfants et l'océan que l'on devine, son ressac lent sur le noir de la plage. Noire, couleur de cendre. Et cet éclat du diamant quand la lumière lui revient.
En 1998, à la création du bureau d'écotourisme (Mount CEO), à peine 78 visiteurs en avaient poussé la porte. Mais les choses sont (peut-être) en train de changer. Sur la saison dernière, un millier d'entre eux sont venus louer les services de guides et de porteurs. Et l'activité a généré ses 14 millions de francs (CFA). Dans une même logique de développement, en partenariat avec la GTZ (Allemagne), une cinquantaine de formations ont été conduites pour des jeunes, issus d'une quinzaine de villages, autour du volcan. Enfin, et c'est un signe fort, ces bénéfices ont permis à ces mêmes communautés de bénéficier de nouveaux équipements : l'électricité à Wonganjo, des maisons de village pour Boteva et Mapanja… Le tourisme n'est donc plus perçu comme une incursion étrangère, "parce qu'il respecte nos usages, qu'il se fait étroitement avec les locaux, leurs lieux, leurs croyances… ", résume David Mossica, manager du Mount CEO.
À la découverte du volcan inconnu
"Il y aurait tant à faire…" Une pointe d'amertume dans le propos. Gerald Ernst, volcanologue à l'université de Gand, constate que "les volcans des pays pauvres restent toujours si mal connus." Une fois par an, il vient étudier le Mont Cameroun. Un mois de relevés, alors que le lieu mériterait tellement. "Sa superficie est une fois et demi celle de l'Etna, mais il y a eu à peine une quinzaine de travaux… et plus de 12 000 pour le site sicilien. On en sait donc très peu. Tout est à faire !" En ce mois de novembre, il est avec deux étudiants français, à collecter les informations. "On a ici un volcan bouclier très particulier, vieux de deux millions d'années, avec des pentes importantes, et aussi un grand nombre de cônes, des dykes dont on ignore presque tout…" Un partenariat avec la faculté de Buea et le professeur Emmanuel Suh, et la constitution d'une unité de surveillance, permettront-ils de poursuivre ce travail ? L'attention aux populations pourrait aussi être un moteur de recherche.