Brésil. L'avortement d'une fillette de 9 ans
L'avortement d'une fillette de 9 ans bouleverse le Brésil. Par Lamia Oualalou (Le Figaro. 09/03/2009)
Elle a tout juste 9 ans, mais victime de malnutrition, elle en apparaît même moins sur les photos. Ce mercredi des Cendres, alors que le Brésil tout entier émergeait de cinq jours de folie carnavalesque, elle a pu, pour la première fois de sa vie, quitter sa petite ville d'Alagoinha, pour se rendre à Recife, la capitale de l'État du Pernambouc, dans le Nordeste brésilien. Mais ce n'était pas des vacances. L'enfant a été conduite dans un hôpital, pour se faire avorter. Violée par son beau-père depuis l'âge de 6 ans, elle était enceinte de jumeaux. Interpellé par la police, l'homme a reconnu avoir également abusé de l'aînée de sa femme, une adolescente de 14 ans souffrant de déficiences mentales.
Lorsqu'il diagnostique la grossesse, le médecin José Severiano Cavalcanti est choqué : «Elle n'a même pas de seins.» Une vie sexuelle précoce, imposée par son violeur, a déclenché ses règles avant l'heure. Le praticien préconise immédiatement l'avortement. Au Brésil, comme dans la majorité des pays d'Amérique latine, il est considéré comme un crime. La loi ne l'autorise que dans deux exceptions, si la grossesse est provoquée par un viol, ou en cas de danger pour la santé de la mère. Ici, les deux arguments s'appliquent. La petite mesure 1,36 et pèse 33 kg, son corps est incapable de mener cette grossesse à terme.
Même si l'acte était légal, la fillette a dû attendre près de dix jours pour mettre fin à sa grossesse. L'archevêque de Recife et Olinda, Dom José Cardoso Sobrinho a fait appel au président du tribunal de justice et demandé à la clinique qui accueillait la petite de refuser l'avortement. «La loi de Dieu est au-dessus de la loi des hommes», a-t-il argumenté. Mère et fille ont quitté l'établissement médical, pour se réfugier en cachette dans un autre, connu pour accueillir des femmes victimes de violences sexuelles.
Dom José a aussitôt déclaré l'excommunication de tout le corps médical responsable de l'avortement ainsi que celui de la mère de la victime. La décision a provoqué un scandale au Brésil quand il est apparu que l'archevêque ne l'avait pas étendue au beau-père de l'enfant. «Le viol est moins grave que l'avortement», a-t-il justifié. Le Vatican l'a soutenu. Le cardinal Giovanni Battista Re, président de la commission pontificale pour l'Amérique latine a estimé, dans un entretien au quotidien italien La Stampa, qu'il s'agissait «d'un cas triste, mais le vrai problème, c'est que les jumeaux conçus étaient des personnes innocentes qui ne pouvaient être éliminées».
Pourtant soucieux de ne pas froisser l'Église, le président Lula est sorti de sa retenue. «En tant que chrétien et catholique, je regrette profondément qu'un évêque ait un comportement aussi conservateur», a-t-il déclaré, avant d'ajouter que, «dans ce cas, la médecine est plus correcte que l'Église». Ces propos, émis par un président qui jouit d'une immense popularité (84 %, plus de six ans après son arrivée au pouvoir), ont été perçus comme un soulagement par les professionnels de la santé qui rappellent l'hypocrisie qui entoure la question. Alors que dans les classes aisées, les femmes se font avorter dans des cliniques qui ont pignon sur rue, des centaines d'autres meurent tous les ans des suites d'interruptions de grossesse effectuées dans les pires conditions.
Le fait que ce soit l'archevêque de Recife et Olinda qui fasse de telles déclarations n'est pas neutre au Brésil. Dom José Cardoso Sobrinho a été nommé à ce poste en 1985, pour remplacer Dom Helder Camara, un des archevêques les plus populaires du Brésil, porte-parole de la théologie de la libération. A l'époque, le Vatican de Jean-Paul II lançait une opération de renouvellement de ses cadres en Amérique latine pour combattre cette doctrine religieuse née dans la région dans les années 1950, selon laquelle la lutte contre la pauvreté, l'ignorance et l'oppression sont la priorité de l'Église. Le changement de cap pour une institution plus conservatrice n'est peut-être pas étranger à sa perte d'influence. Bien que le Brésil reste le premier pays catholique du monde, les spécialistes estiment que le nombre de catholiques a diminué de près de 20 % depuis les années 1980.