Belize. "Ce n’est pas un pays CNN. Ce n’est pas un pays à guerres, ni à sécheresses, ni à famine, ni à génocide."

Publié le par Un monde formidable

Belize, 20 000 km2 de solitude.  Par J-P Tuquoi. (Source Le temps.CH. 03/08/09)

Ce minuscule Etat d’Amérique centrale compte peu d’habitants, guère de visiteurs, et un gouvernement qui tient dans quatre bâtiments. Même les requins, qui nagent dans des eaux turquoise riches de corail, sont réputés paisibles.

On était prévenu. Il fallait éviter le Belize comme la peste. L’avertissement venait de témoins incontestables. L’écrivain Aldous Huxley, par exemple. Dans les années 1930 il écrivait: «S’il y avait des bouts du monde, Belize serait certainement l’un d’eux. Il n’est sur aucune route, d’aucun point à aucun autre. Il n’a aucun intérêt stratégique. Il est presque inhabité.»  Plus près de nous, un autre écrivain, chilien celui-là, Alberto Fuguet, n’était pas plus tendre: «Ce pays [est] un pays de série B. Je n’ai jamais lu aucun livre ni vu aucun film dont le cadre se déroule au Belize. Hemingway n’a jamais mis les pieds dans ce maudit endroit. Même Graham Greene n’y a situé aucune de ses intrigues. Ce n’est pas un pays CNN. Ce n’est pas un pays à guerres, ni à sécheresses, ni à famine, ni à génocide.»

Rien de plus vrai. Le Belize n’est pas un pays à la mode. Coincé entre le Mexique et le Guatemala, à peine plus étendu qu’Israël et plus peuplé qu’une ville comme Nantes, c’est le pays de nulle part, à l’écart du monde. En ce début juin, dans l’avion de ligne – un Boeing fatigué – qui, deux ou trois fois par semaine, relie Miami, en Floride, à l’aéroport de Belize City, la principale agglomération du pays, le tiers des sièges à peine est occupé. On devine les commerçants asiatiques et indiens à leur air affairé, et les hommes d’affaires à l’ordinateur sur lequel ils pianotent.

Les queues de cheval poivre et sel appartiennent aux hippies quinquagénaires venus se ressourcer de ce côté de la mer des Caraïbes tandis que les jeunes routards anglo-saxons se reconnaissent aux sacs à dos décorés de drapeaux étrangers qu’ils trimbalent. On les retrouvera quelques jours plus tard, flanqués d’une poignée de touristes américains obèses, sur les plages de sable blancs des cayes – en anglais, les keys –, un chapelet d’îles désertes qui affleurent dans le nord-est du pays (l’acteur Leonardo DiCaprio a déboursé plusieurs millions de dollars pour s’en offrir une dont il prévoit de faire un refuge cinq étoiles pour les stars d’Hollywood converties à l’écologie).

Les plus vaillants – et les plus fortunés – des touristes ont le choix: s’offrir une balade en mer et aller barboter dans l’interminable barrière de corail qui longe la côte, ou aller admirer le Blue Hole, un trou d’eau plus profond que la mer alentour où nagent des requins réputés paisibles. Popularisé par le commandant Cousteau, le Blue Hole c’est un peu la tour Eiffel du Belize. Aux autres, les séances de bronzage sans fin et les promenades le long d’une rue commerçante – pizzerias, bars, boutiques de vêtements – à l’arrière de véhicules de golf customisés en taxis réputés verts.

Le tourisme est la première source de devises du Belize devant la production d’agrumes. Et pourtant les vacanciers ne se bousculent pas. Même les deux ressorts – des hôtels luxueux et hors de prix – du cinéaste Francis Ford Coppola, l’un sur la côte, l’autre dans la forêt, n’affichent pas complet. Le Belize n’est ni la Tunisie ni les Baléares. Que ce soit dans les eaux couleur turquoise qui baignent la barrière de corail où au milieu des ruines de temples mayas du côté de la frontière avec le Guatemala, le touriste est une denrée rare.

Mais qui connaît l’existence du Belize, un pays doté d’un drapeau et d’un hymne national mais qui a dû se contenter d’envoyer en tout et pour tout trois malheureux athlètes aux Jeux olympiques de Pékin, en 2008? En France – et sans doute en Europe – pas grand monde. «C’est la première fois que l’on nous demande un billet d’avion pour Belize City», avouait-on à l’agence de voyage du Monde. Où glaner des renseignements sur ce pays égaré en Amérique centrale alors que sa culture est celle des Caraïbes? Aucun guide touristique n’existe en langue française. Et le seul livre – excellent – qui traite du pays (Belize, d’Alain Dugrand, Payot) date de 1993! Sur Internet, censé avoir réponse à tout, c’est le même désert. Hormis l’annonce que les autorités locales n’ont pas hésité à arraisonner et à infliger une lourde amende à un milliardaire mexicain coupable d’avoir endommagé avec son yacht la barrière de corail, on n’apprendra rien d’essentiel. Inutile de se tourner vers le Quai d’Orsay: la France n’a pas d’ambassade au Belize – et réciproquement.

Même les Américains sont d’une ignorance indigne à propos de ce pays à deux heures d’avion de Miami. Et le mauvais exemple vient d’en haut: Barack Obama a appris l’existence du Belize ce printemps à l’occasion du Forum des Amériques (rassemblement des chefs d’Etat du continent) lorsqu’on lui a présenté le premier ministre – noir – Dean Barrow et qu’il lui a serré la main, persifle Amandala, un bihebdomadaire (le pays n’a plus de quotidien alors qu’un Colonial Guardian existait en 1882). Peut-être Obama était-il persuadé jusqu’alors, comme une majorité de ses compatriotes, que le Belize était un pays perdu en Afrique ou une région du Mexique? Ainsi s’expliquerait que lorsque fin mai un tremblement de terre de 7,1 sur l’échelle de Richter – ce qui n’est pas rien – né au large des côtes du Belize a secoué le pays et fait redouter un tsunami, l’information a été expédiée en quelques secondes par CNN. Les habitants du Belize l’ont ressenti comme un affront.

Car le Belize est un pays miniature mais solide; un Etat lilliputien mais qui tient son rang. Il n’a pas d’armée véritable mais une justice indépendante et un parlement où siègent 31 députés élus et 12 sénateurs. «C’est un pays démocratique, souligne l’un des intellectuels les plus respectés du pays, Lawrence Vernon. D’ailleurs l’opposition l’a emporté aux dernières élections.» On n’ose imaginer les thèmes de la campagne électorale. Une chaîne de télévision a offert 20000 dollars béliziens (l’équivalent de 7000 euros) à quiconque fournirait des éléments de preuve de la corruption d’un ministre. Commentaire du Belize Times en première page fin mai: «Le ministre ne dormirait plus très bien depuis que la récompense a été offerte.» La même semaine, un autre journal, faisait sa «une» sur un sénateur accusé d’avoir obtenu un prêt de 80000 dollars «pour améliorer sa maison quand les pauvres Béliziens n’ont rien». La photo d’une baraque en planches (celle d’un pauvre sans doute) illustrait l’article.

Les touristes évitent comme la peste Belize City. On ne peut leur en vouloir. La ville n’a guère d’intérêt en dehors du Musée national installé dans l’ancienne prison et qui, entre deux reproductions de masques mayas, vante les mérites de la vie coloniale d’antan. Autre curiosité, un pont métallique rouillé qui enjambe un cours d’eau dans le centre-ville. C’est le dernier pont tournant du continent sud-américain encore manœuvré à la main.  Ce qu’il ne faut surtout pas éviter, c’est Belmopan, promue capitale du pays depuis qu’une tornade a détruit Belize City et ses maisons de bois au début des années 1960. Avec à peine plus de 15000habitants, Belmopan ne va pas se mesurer à Mexico ou à Tokyo, mais c’est justement ce côté maison de poupée qui fait son charme. La ville est paisible. «Je peux laisser les clés et mon argent dans ma voiture, personne n’y touchera», assure le patron de la coopérative des taxis de la ville. Ordonnés autour d’une sculpture contemporaine (des arcs de béton multicolores symbole du brassage des populations du Belize), les ministères tiennent dans quatre bâtiments posés au milieu d’un jardin public. Une sorte de foyer des jeunes tient lieu de parlement. A proximité, la High British Commission (le Belize, devenu indépendant quand François Mitterrand s’installait à l’Elysée, est membre du Commonwealth) et les ambassades des pays qui ont un peu de considération pour le Belize: les Etats-Unis, le Mexique et… Taïwan. Car le Belize fait partie de la poignée de pays qui reconnaissent Taïwan – au détriment de la République populaire de Chine.

Ce n’est pas offenser les Béliziens que de dire que se cache derrière une affaire de gros sous. Pour prix de sa reconnaissance, le Belize reçoit chaque année une dizaine de millions de dollars d’aides diverses. Lorsque, il y a un peu plus de deux mois, le président Ma Ying-jeou, le chef de l’Etat de Taïwan, est venu à Belmopan, il a été accueilli par une foule en liesse. Il y avait bien une centaine de collégiens en uniforme et drapeau de Taïwan à la main le long du trajet officiel!

 

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