Algérie. La délinquance au féminin

Publié le par unmondeformidable

Algérie : la délinquance au féminin. Par Malika Belgacem (Syfia.info – 23/01/2009)

Les femmes acquièrent une place croissante dans la société algérienne. Pour le meilleur et parfois aussi pour le pire : de plus en plus d’entre elles sont impliquées dans la délinquance, jusqu’à la grande criminalité.

Selon des statistiques judiciaires, de janvier à octobre 2008, 644 femmes ont été impliquées dans des affaires pénales pour la région centrale d’Algérie (Alger, Boumerdès et Tizi Ouzou). "Comparativement à l'année 2007, la délinquance féminine est en nette progression", affirme un responsable de la cellule de communication de la Gendarmerie nationale, qui ne souhaite pas être cité. Au cours de l'année précédente, en effet, 531 femmes avaient été arrêtées dans la même zone pour différentes infractions, allant jusqu’au crime.

"Le nombre de délinquantes arrêtées durant les sept dernières années est de 33 551 à l'échelle nationale", ajoute le même responsable, soit 17 % des personnes interpellées. Au-delà du changement quantitatif, cette hausse reflète une autre évolution : des femmes occupent une place croissante au sein de certains réseaux. "La femme n'est plus un outil de crime utilisé par l'homme. Dans plusieurs affaires, elle est la tête pensante", affirme un magistrat du tribunal criminel d'Alger. Dans les tribunaux, l’évolution est visible. Début décembre 2008, celui de Boumerdès a jugé l’affaire de la voleuse cagoulée. Pendant deux ans, cette femme au corps frêle a dirigé d'une main de fer un réseau de malfaiteurs composé de dix membres, dont deux femmes. Elle a organisé le hold-up de plusieurs commerces, notamment des bijouteries. A son palmarès figurent des vols à main armée, vols par effraction, agressions d'automobilistes… Arrêtée en 2007, elle a été condamnée à 7 ans de réclusion criminelle.

Selon la Gendarmerie, c’est à partir de 2006 que ce phénomène a commencé à prendre des proportions vraiment inquiétantes. "Les femmes ne sont plus dans les modes classiques de la criminalité tels que la prostitution (considérée comme un crime en Algérie, Ndlr) et le vol de bijoux de ses proches. Elles ont investi le domaine du crime organisé", constate un policier. Au cours des dix premiers mois de l’année 2008, les services de sécurité ont arrêté 49 femmes qui faisaient partie d'un réseau de harraga (immigration clandestine). Quarante-six autres ont aussi été arrêtées pour contrebande. Certaines opéraient pour leur propre compte. Souvent, elles s’étaient "spécialisées" dans le créneau des articles vestimentaires et des bijoux. "En général, les femmes sont soumises à des contrôles moins rigoureux et échappent aux fouilles corporelles, affirme la Gendarmerie. Elles en ‘profitent’ pour faire passer notamment de la drogue aux frontières ouest, dissimulée dans leurs sous-vêtements".

Contrairement à une idée reçue, les délinquantes ou criminelles ne sont pas seulement des illettrées. D'après les résultats d'une enquête publiée en 2007 par la Gendarmerie, 20 % des femmes arrêtées pour un crime ou un délit ont suivi des études universitaires. Nadia, 28 ans, en fait partie. Elle est ingénieur en informatique, diplômée de la prestigieuse Université Houari Boumediene (Bab Ezzouar, Alger). "Par la force des choses, je me suis retrouvée délinquante, confie-t-elle par l'intermédiaire de son avocat. On ne naît pas criminelle, on le devient. Après l'obtention de mon diplôme, j'ai déposé des demandes d'emploi, mais aucune n'a abouti. Je suis issue d'une famille pauvre. Je devais aider aux dépenses de la maison.". Nadia n'a agressé personne, mais elle a tout de même amassé une petite fortune sur le dos des crédules. Elle se présentait comme infirmière, agent de recensement ou de la Sonelgaz (l’entreprise nationale d’électricité et de gaz), et profitait d'un moment de relâchement chez ses victimes pour leur voler des bijoux ou d'autres objets de valeur.

Les causes de la criminalité, des hommes comme des femmes, sont multiples, explique sous anonymat un officier de Gendarmerie : "Des parents démissionnaires, l’échec scolaire, la pauvreté..." À propos de la criminalité féminine, Ahmed Remita, sociologue et enseignant à l'Université de Bouzaréah (Alger), ajoute : "L'implication de la femme dans les crimes et délits est le résultat de la transformation d'une société conservatrice à une société moderne, où tout semble permis. Les repères traditionnels, les valeurs, les traditions, les comportements étaient liés à une situation économique donnée, qui a changé. Nous n’avons pas veillé à la mise en place de nouvelles balises sociales.

" En commentant l’étude de 2007, au moment de sa parution, le lieutenant Samir Zouaoui, responsable de la criminalité féminine à la Direction générale de la police algérienne, liait la hausse de la délinquance féminine à "la pauvreté, le vieillissement et la dislocation des liens familiaux". Zakia Gaouaou, présidente de l’association sociale humanitaire Mounia, insistait de son côté, dans le portail maghrébin d’informations Magharebia.com, sur la "dégradation familiale", c’est-à-dire la façon violente dont les pères, les frères et les maris traitent les femmes. Quant à l’avocat Khaled Berguel, il affirme que "L’activité criminelle des femmes existe depuis des siècles. Elle était jusqu’alors restée cachée, comme les femmes dans la société." Mais de toute façon, ancien ou récent, ce phénomène suscite des interrogations dans la société. Et "des politiques de prévention devront y répondre", souhaite un officier de la Gendarmerie nationale.

Publié dans Afrique du Nord

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