Abu Dhabi. Le plus grand vicariat du monde

Publié le par Un monde formidable

Le plus grand vicariat du monde se trouve à… Abu Dhabi par François-Xavier Trégan (Le Temps. 15/01/11)

A l’heure où les chrétiens d’Orient sont l’objet de menaces, les catholiques de la péninsule arabique augmentent, grâce à l’immigration. A leur tête, l’évêque suisse Paul Hinder.

Sur la route qui mène à l’aéroport, l’église Saint-Joseph doit se deviner. Ni clocher ni croix. Aucun signe distinctif extérieur ne permet de l’identifier. Pourtant, ici, chacun peut la situer, à côté de la mosquée Cheikh Mohammad et de ses quatre minarets. A l’écart du centre-ville d’Abu Dhabi, depuis 1962, Saint-Joseph abrite le siège du vicariat apostolique d’Arabie. Débute ici le territoire d’une Eglise pas comme les autres. De la capitale des Emirats arabes unis s’orchestre la vie de près de 2,5 millions de catholiques éparpillés aux quatre coins de la péninsule Arabique: les Emirats, le Qatar, Bahreïn, Oman, l’Arabie saoudite et le Yémen.

Le plus grand vicariat du monde s’étend sur six pays, une superficie totale de 3 millions de kilomètres carrés. Et il vient défaire quelques a priori. Comme ceux qui réduisent tous les pays musulmans à un dogmatisme religieux imperméable à la pratique des autres cultes. Il vient aussi bousculer quelques réalités. A l’heure où les chrétiens d’Orient sont l’objet de menaces et la cible de fanatismes armés, en Irak ou en Egypte, les catholiques de la péninsule Arabique ne prennent pas la route de l’exode.

Philippins, Indiens, Birmans, ils sont chaque année plus nombreux à affluer aux Emirats arabes unis. Ils y seraient 500000catholiques, sur une population totale de près de 5 millions d’habitants. Ce sont les soutiers du miracle économique et immobilier (techniciens, ouvriers, personnel de maison), au service d’une manne pétrolière qui en quelques décennies a transformé un chaudron désertique en une fédération d’Etats puissants et riches.

L’évêque Paul Hinder est à la tête d’une Eglise «pérégrine», dont les fidèles ne sont pas des citoyens, mais des travailleurs migrants. Nommé vicaire auxiliaire d’Arabie en 2003 par Jean Paul II, le capucin gagne alors Abu Dhabi avec une seule question en tête: «Qu’est-ce qui m’attend ici?» Un passeport suisse en main, tout au long de l’année le vicaire parcourt chacun des pays de la péninsule Arabique dans la discrétion d’un costume trois pièces. Il part à la rencontre des 60 prêtres disséminés dans la région et se met à l’écoute de fidèles «modestes et simples, dont beaucoup n’ont pas la liberté de venir assister aux offices religieux».

La première église est apparue à Bahreïn en 1939. Et, s’il y a aujour­d’hui près de 30 paroisses dans la péninsule (dont sept aux Emirats, huit au Qatar, quatre à Oman et au Yémen), l’exception demeure toujours l’Arabie saoudite. Là se jouent avec beaucoup de discrétion des négociations de personnes à personnes pour faciliter la vie religieuse du million de catholiques qui y résident. «Que les besoins de ces gens soient reconnus, je n’attends que ça», conclut Paul Hinder. Le tête-à-tête du roi Abdallah avec le pape BenoîtXVI, en novembre 2007 au Vatican, a été un premier signe fort.

Il est 11heures, ce vendredi, jour de week-end à Abu Dhabi. Plusieurs milliers de Philippins s’engouffrent dans l’église Saint-Joseph. D’autres, agenouillés en pleine canicule, font leurs prières devant la grotte de Marie. Les salles de catéchisme sont bondées, et Madame Mirna organise le plan de bataille de ses 200 légionnaires. La Légion de Marie poursuivra son apostolat direct auprès de ceux qui sont éloignés de l’église, malades, prisonniers, fidèles sans ressources.

A l’écart de Saint-Joseph, Djinky démarre une grosse cylindrée. Ce n’est pas qu’elle aime les belles voitures. Mais elle n’a pas eu vraiment le choix. Quand elle s’est posée à Abu Dhabi, il y a six ans, elle a fait comme tous les autres. Elle a pris la file de gauche, à l’aéroport, celle réservée aux immigrés, un couloir discipliné, portée par un objectif unique: récupérer son visa de travail. Douze heures par jour et six jours sur sept, elle est chauffeur pour une société de location de voitures de luxe.

Djinky se rend dès qu’elle le peut à Saint-Joseph. Elle vit d’ail­leurs tout à côté, dans une «villa», un réduit de quelques mètres carrés partagé avec quatre autres concitoyens et loué à prix d’or. «Cette église c’est ma maison, c’est comme si je me sentais dans ma famille, dans mon pays. Si j’ai des problèmes, je peux m’en ouvrir simplement à Dieu. Il est le seul auquel je puisse confesser tout ce qui m’arrive ici.» De retour dans son pays, une fois par an, Djinky raconte aux siens combien il est dur de travailler ici. «Mais au moins je peux survivre, je suis en bonne santé.»

A ces travailleurs, l’évêque Hinder dit «vous n’êtes pas seuls». Et le vicaire d’observer la ferveur qui se dégage de ces fidèles cantonnés au statut de résident de deuxième classe. «Ils n’ont d’autre choix que d’intensifier leur foi au risque sinon de la perdre.» A son institution, l’évêque tente d’expliquer le poids d’une Eglise qui n’a «pas de culture, considérée comme très pauvre». Et d’avancer qu’il y a «peut-être eu un peu de négligence par rapport à une réalité qui n’est pas enracinée». «Sommes-nous le laboratoire de l’Eglise de demain?» Pour le vicaire apostolique d’Arabie, ces fidèles d’aujour­d’hui seront bien les pasteurs de demain.


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